jeudi 7 février 2008

Innocence (par CR)

Soeharto, l'ex-dictateur indonésien qui a gouverné le pays pendant plus de 30 ans, est mort la semaine dernière.

Il avait notamment reçu l'honneur suprême de "dirigeant le plus corrompu des temps modernes", et n'a jamais été condamné pour les quelques 15 à 40 milliards de dollars d'aides humanitaires qu'il aurait détournées, ou les milliers de personnes qu'il a envoyées dans les cimetières lors des conflits au Timor.

Mais... L'Indonésie est en deuil.
L'Indonésie pleure la mort de "Pak Harto".

Toutes les chaînes indonésiennes ont diffusé en boucle pendant 2 jours des spots portant en icône l'ex-président, apparaissant toujours souriant. Le tout agrémenté d'une musique pleine de tristesse et de lamentation. 3 jours de deuil national, drapeaux en berne...
Auraient-ils la mémoire courte ?

Ou alors, ... Peut-être est-ce là un bon exemple de l'innocence indonésienne, cette crédulité... Les gens préfèrent peut-être se souvenir des bons moments de l'époque Soeharto (développement du pays et hausse des salaires), plutôt que des côtés obscurs ? ...


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L'innocence... Ce mot qui vient tout de suite à l'esprit quand on parle de l'Indonésie...


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Et pour cause...
Il y a d'abord des légendes urbaines à peine croyables mais admises de tous, celle-ci comme meilleur exemple :

" - Il ne faut jamais allumer son téléphone dans l'avion !!
- Oui, soit.
- Et surtout, ne jamais prendre la compagnie d'aviation Adam Air !!
- Ah oui, et pourquoi ?
- Un jour, quelqu'un a allumé son téléphone portable dans un avion d'Adam Air, et ça a inversé tout le système de navigation. Du coup, l'avion qui décollait de Jakarta et qui devait atterrir à Yogyakarta, a ré-atterri à Jakarta sans que le pilote ne s'en rende compte !
- Ah, Ok."


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Autre exemple, un jour où je mangeais avec une collègue à qui je demandais son avis sur un aquapark de Jakarta :

" - Oh oui c'est super ! J'y ai encore été hier !
- Ah, cool.
- D'ailleurs, tu sais que j'ai photographié un fantôme dans cet aquapark ?
- !!?? Pardon ?
- Oui oui, je t'explique. J'ai fait une photo de mon mari et de mon fils, et il y avait un genre de reflet blanc sur la photo. On n'a pas réussi à expliquer ce que ça pouvait être, nous sommes donc arrivés à la conclusion que c'était un fantôme.
- Ah oui, et pourquoi un fantôme ?
- Ben, puisque j'ai repris la même photo une minute après, et le reflet n'était plus là !
- Ah, Ok."


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Et enfin, le récit d'un expatrié (traduit par mes soins, le texte original est en bas du message). Tellement représentatif, tellement vrai, tellement beau, tellement... indonésien... :

"
J'arrivais au One Tree, ce petit bar kozy. Il y avait cette jolie fille avec qui je discutais. Je lui propose à boire : "Un verre de vin ?". Elle refuse timidement, m'expliquant qu'elle ne souhaite pas boire d'alcool. "Parce que", dit-elle avec un air très sérieux, "J'habite à Ciputat, dans le Sud de Jakarta, et je dois prendre le bus 96". Je ne voyais pas le rapport avec sa volonté de ne pas boire d'alcool, mais elle continua : "Je dois donc rentrer avec la ligne 96, mais si je bois du vin, je pourrais confondre les numéros sur les bus et monter dans le bus 69 au lieu du 96, et j'arriverais alors à Sunter Podomoro, tout au nord de la ville...". Tout cela dit sur un ton naturel, sans émotion sur son visage. J'aime l'Indonésie avec tous ses bons et ses mauvais côtés, et cet exemple est représentatif des bonnes choses... La pureté indonésienne.

Le chauffeur de taxi qui me ramena ce soir-là me racontait qu'il n'avait jamais vu de fantôme dans sa maison. Il me demanda ensuite quel était mon travail. "Je suis chauffeur de bus sur la ligne 69". "Oh..." répondit-il calmement mais avec surprise, laissant penser qu'il croyait vraiment qu'il existait des occidentaux chauffeurs de bus en Indonésie. "Yang ke Sunter Podomoro ya... ?" ("Celui qui va à Sunter Podomoro ya... ?").
"


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L'une des causes de cet état d'esprit innocent ? Peut-être un système éducatif qui n'incite pas vraiment à l'analyse de ce qu'on dit ou ce qu'on entend, qui n'encourage pas vraiment la prise de recul par rapport aux choses...

Les conséquences... font peur. En effet il est facile d'exploiter ce genre de naïveté, et pas toujours à de nobles fins. Le triomphe de la société de sur-consommation, à Jakarta notamment, est peut-être le meilleur exemple. Matraquage de spots publicitaires TV, affichage promotionnel omniprésent... Un bourrage de crâne culturel qui a abouti au triomphe des "shoppings malls", énormes galeries commerciales sur-bondées, sur-lumineuses et sur-bruyantes. Ces malls se sont imposés comme le principal centre de loisirs des habitants de Jakarta qui viennent en masse y passer une bonne partie de leur temps libre. Manger, boire, acheter, faire du fitness, aller à la banque, au cinéma, rêver devant ce qu'on ne pourra jamais s'acheter... Tout est possible au mall.


Mall Ambassador, Jakarta


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(Version originale du récit traduit ci-dessus :)

I moved on to the One Tree, this small and cozy bar. There was this good looking girl. I sat down with her and offered her a drink. "A wine maybe?", I asked her. She was very shy. No, she did not want alcohol. "Because", she explained with a very serious face, "I live in Ciputat and need to take bus number 96." She stopped for a second. I did not see the reason why she therefore could not take a glass of wine, but she quickly continued. "I normally go home on line 96, but if I take wine, I might take 69 instead of 96, and then I end up in North Jakarta in Sunter Podomoro...", she said, still with no emotion or whatsoever on her face. I love Indonesia with all its goods and bads. This was one of its many goods, in its purest form.

The cheating taxi driver that brought me home later that night had never seen a ghost in his house he said. He asked me what my job was. "I am a bus driver on route 69", I told him. "Oh....", he replied calmly as if he believed there were bule bus drivers in Indonesia. "Yang ke Sunter Podomoro ya...?".

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je dirais plutôt une crédulité, naïveté mélée de superstitions...
Je vis avec une Indonésienne qui m'en raconte des belles de temps en temps. Si vous voulez vous payer une bonne tranche de rigolade, vous demander à un indo de vous raconter la légende de l'homme qui se transforme en sanglier pour chercher de l'argent de nuit pendant que sa femme doit rester éveillée pour surveiller la bougie sinon il meurt. L'histoire en elle même est assez débile (j'ai oublié le nom d'ailleurs) mais il y a de bonnes chances pour que l'indonésien vous soutienne mordicus que cette magie existe vraiment.
Quand je me suis marré en entendant ça, le petit frêre de ma copine à eu une reflexion que je trouve très juste : "tu y croirais si tu étais indonesien", heureusement qu'ils ont pas le père noël ici...

Anonyme a dit…

C'est pas de l'aide humanitaire que Suharto a detourne, c'est l'argent du contribuable Indonesien...et s'il y a eu une telle attention mediatique autour de sa mort, de sa souffrance, et de tout ce qu'il a fait pour les pauvres qd il etait au pouvoir, je ne pense pas que ce soit de la naivete mais plutot une demarche refflechie pour susciter le pardon et laisser la famille porter le deuil en paix, ne les emerdons pas avec l'argent detourne de Suharto dont ils vont heriter...