lundi 19 novembre 2007

Salon de coiffure (par CR)

D.N., c'est un copain qui habite dans le même complexe d'appartements que moi.
Il a une voisine qu'on appellera Miss P.
Miss P. a 25 ans, toutes ses dents, et ses parents ont beaucoup d'argent.
Miss P. en avait marre de dépenser trop d'argent au salon de coiffure, alors elle a eu une idée géniale : ouvrir son propre salon.
Alors elle a demandé à ses parents la thune pour ouvrir son affaire, et voilà.
Comme ça l'intéressait de bien faire son salon de coiffure, elle a pris le temps d'étudier la concurrence aux alentours, et de bien choisir son emplacement et son local.

Elle a acheté une maison qu'elle a transformée en un beau salon...


... Et tout ça, grâce à des travaux au black.

Ah oui car j'ai oublié de vous dire, le salon de Miss P. n'est pas déclaré du tout.
Pas de structure légale, pas d'entreprise ni même d'association, RIEN.
Pas d'assurance non plus bien sûr, mais ça c'est normal, "ce n'est pas dans les préoccupations indonésiennes".
Les 16 employés du salon ne le sont bien sûr pas officiellement. Ils gagnent au black un salaire mensuel compris entre 45 euros pour les "office boys" (hommes à tout faire : gardiens, coursiers, ils aident les gens à se garer, etc.) qui vivent d'ailleurs dans la maison, à un superbe 170 euros pour la styliste. Certes, le niveau de vie en Indonésie est (relativement) bas, certes l'argent ne fait pas le bonheur, mais quand même... Avec cette somme d'argent et un jour de congés par semaine, on ne peut pas faire grand chose de sa vie, surtout à Jakarta. Mais c'est un autre sujet.

Miss P. sait qu'un jour le bureau des taxes peut venir l'enquiquiner un peu quand même. Mais pas de panique. Elle a gardé de côté le paquet de fric nécessaire pour corrompre les rabat-joies au besoin ("Ne me piquez pas mon jouet !").

Miss P. n'aime pas beaucoup s'embêter avec les formalités administratives. Alors pour faire simple, elle n'a même pas créé de compte en banque pour son salon. Tout va et vient directement sur son compte personnel, y compris les paiements par carte bleue des clients. Pourquoi s'embêter ?!

Le problème c'est que du coup, elle du mal à faire la balance entre ce que lui coûte et ce que lui rapporte son salon. Car par exemple, elle achète les produits de beauté pour son salon au supermarché en même temps que ses paquets de nouilles instantanées. Pas pratique pour distinguer le tout.
En plus la finance c'est pas trop son truc. Et puis elle n'a pas d'ordinateur, et ne sait pas utiliser Excel. Alors elle a demandé à D.N. de l'aider pour tenir la comptabilité de son salon : par exemple, pour commencer, une feuille de calcul avec des "+" et des "-"...

Miss P. est une fille souriante et gentille, un peu timide, et qui paraît même un peu naïve. Une fille comme on en croise plein en Indonésie. Ce n'est pas, je pense, une bourgeoise pleine de mauvaises intentions, ou prête à tout pour se faire encore plus de fric. Elle ne donne pas non plus l'impression d'être une tortionnaire qui maltraiterait ses employés (employés qui d'ailleurs ne quittent pas l'entreprise fictive).
Tout est parfaitement "normal", et Miss P. est loin d'être la seule dans ce cas.
Bienvenue en Indonésie.
J'ai beau commencer à être habitué à ce genre d'histoires, je continue d'halluciner à chaque fois que j'entends un truc pareil...

Ce cas est un bon exemple de pas mal de choses qu'on voit au quotidien dans ce pays :

- Une motivation débordante pour les sujets qui intéressent les indonésiens (s'investir pour trouver le bon emplacement pour le salon, faire des beaux plans etc. par exemple), mais une négligence totale pour les sujets qui ne les intéressent pas, même si ça semble primordial (la comptabilité dudit salon).

- Une adorable innocence dans le comportement. J'imagine la scène : "D.N., tu pourrais m'aider s'il te plaît pour la comptabilité de mon salon ? Je voudrais savoir combien je gagne ya". Aparté : je suis fan de ce "ya" ("oui"), naïvement optimiste, régulièrement placé en fin des phrases affirmatives par les indonésiens.

- Les indonésiens ont du mal à se projeter sur le long terme, et à anticiper l'avenir (Quid en cas de contrôle, pourra-t-elle continuer à exercer cette activité ? Peu importe, pour l'instant le salon rapporte du fric. Et c'est sans parler de l'absence d'assurance pour le salon, ses employés et ses clients).

- Un sens des priorités bien loin de ce qu'on connaît (ça ne pose aucun problème à Miss P. de créer une structure illégale, par contre ne pas savoir combien elle gagne précisément grâce à cette structure illégale lui pose problème).

- Un manque de rigueur flagrant.

- Les disparités énormes entre les classes sociales (Miss P. a quand même pris le temps d'estimer son chiffre d'affaire à environ 4600 euros par mois. Ses Office boys obtiendront cette somme qu'elle gagne en un mois après avoir habité dans le salon pendant 8 ans).

- La corruption omniprésente, même plus surprenante.

1 commentaires:

The Jakarta Team a dit…

Petite photo sympa ; )
Belle rubrik ; )

Mr J.